Le B(M)log

CARÊME OU… LAPIN ?

A l’occasion de l’arrivée de Pâques, cette grande fête chrétienne qui marque à la fois la fin de la saison de ski et le salut de l’humanité, la B.M. vous propose de décortiquer les traditions ancestrales qui avaient cours avant que les mécréants ne substituent le lapin de Lindt à l’agneau de Dieu : en l’occurrence, nous allons nous attarder sur les origines cocasses, justement, de la cuniculture.

La cuniquoi ?

Non, stop : les polisson(ne)s parmi vous peuvent aller directement au coin. La cuniculture, c’est l’élevage du lapin domestique, à des fins de cajoleries – ou de râble rôti, pour les plus de douze ans.

Mais avant de nous attarder sur le lapin, dont des dizaines de versions chichement cacaotées pullulent en cette Sainte période, profitons-en, nous autres bienheureux huguenots, pour rendre hommage à Martin Luther, ce bougre de moine qui, entre deux traductions d’Evangile, n’avait de cesse de pourfendre le faste superfétatoire de ses camarades catholiques : il faut savoir qu’à l’époque les évêques étaient du genre à rouler en calèche de sport, porter des mitres Louis Vuitton et s’enfiler des ciboires de Dom Perignon au déjeuner – quand ils n’étaient pas en train de carboniser l’un ou l’autre mécréant sous prétexte qu’il avait rippé son Pater ou son Ave.

Grâce à la Réforme, inventée par ce sympathique tonsuré germanique, le Carême est devenu nettement plus praticable : ouste, l’ascèse forcenée inspirée de Jésus-Christ lors de ses vacances en Egypte !

Plus besoin de troquer quarante jours durant le cordon bleu contre la salade d’endives, la Porsche Cayenne contre l’abonnement TL, le Gin-to’ contre le crodino-orange, le fauteuil Louis XV contre la planche à clous : contrairement à ses voisins Fribourgeois ou Valaisans, qui attendent Pâques en suçant des cailloux (pour les plus intègres d’entre eux), le Vaudois réformé peut s’enfiler de la côte de boeuf aux morilles avec du Château Petrus tous les jours (sauf le vendredi), en risquant son foie, certes, mais jamais son âme.

Mais revenons à nos lapins.

Autour de l’arrivée du printemps, entre les derniers renvois gastriques de Mardi-Gras et le cabri cuit à basse température tout le matin du Lundi de Pâques, pourquoi cette omniprésence chocolatée de nos boulotteurs de carottes? Comment diable a-t-on commencé à imaginer Jeannot en train de crapahuter avec des œufs colorés dans les légendes teutonnes de l’an Mil, alors que tout le monde connaît sa relative nullité à pondre ?

Il semblerait que, tout comme lesdits œufs, emblèmes printaniers de fécondité et d’excédent de cholestérol, sa présence au casting ne soit à imputer qu’à sa redoutable productivité entre le moment de la première saillie et celui de la surpopulation dans les garennes, ce qui fait de ses grandes oreilles un autre symbole de la jolie turgescence saisonnière.

Et maintenant la cuniculture ?

Le petit aparté sur l’équation lapin + œuf = printemps étant clos, penchons-nous à présent sur cette mystérieuse cuniculture, donc les balbutiements coïncident avec la rêche cuisine moyenâgeuse, celle-là même qui utilisait l’huile de foie de morue comme source de vitamines, s’il en restait un peu après avoir ébouillanté les Sarrasins trop envahissants.

Pourtant, si vous pensez que l’origine de l’élevage du lapin domestique est à chercher du côté de l’attrait du gueux pour le ragoût aux olives, vous n’y êtes pas vraiment. La consommation de lapin coïncide avec – on y revient – la tradition de jeûne pascal consécutive aux ratés du dernier repas d’entreprise de Jésus-Christ en avril ’33 : pendant le Carême, en effet, l’Eglise catholique était épouvantablement tatillonne en matière de gastronomie, et proscrivait comme chacun sait la plupart des mets un tant soit peu riants, notamment tous ceux issus de la chair d’animaux « non aquatiques ».

Dont acte : les laurices, autrement dit les fœtus de lapin (la grimace de dégoût est autorisée), étaient alors considérés commes aquatiques, car nageant dans le bonheur et dans le liquide amniotique de maman Lapine.

Nos aïeux se sont donc mis à les y prélever pour les déguster prestement sans risquer les flammes de l’enfer, car c’était rudement plus simple que d’aller pêcher le saumon. Ce sont donc bien les laurices, sources croustillantes de protéines animales en plein Carême, au nez et à la barbe de monsieur le curé, qui ont initié l’élevage des lapins de garenne, à une période où les nutriments des seuls choux et navets avaient hélas de la peine à protéger du scorbut.

Pouah, n’est-ce pas ? Quand je vous disais que ce brave Martin Luther est arrivé à point nommé avec son bœuf aux morilles.